Sokhna Benga n’est plus à présenter dans le monde Littéraire. Sa voix s’élève pour dire, pour écrire les maux d’une société quelle connait si bien. D’une société qu’elle côtoie et, surtout dans laquelle elle vit. Sokhna Benga parle des maux avec des mots forts. Qui frappent. Qui touchent l’âme. Le cœur. La conscience. L’inconscience. Des mots qui interpellent. Qui révèlent des maux oubliés. Tus par les bien pensants.
J’ai été surprise par la disponibilité de cette écrivaine de mérite, de sa gentillesse, de sa patience. Merci Sokhna Benga. D’avoir accepté. Tout simplement.
Bonjour, Je m’appelle Amélie Diack. Je vous remercie d’avoir accepté cette interview
Pouvez-vous vous présenter ?
Je suis écrivain, scénariste, éditrice à mes heures perdues, administrateur des affaires maritimes et Directrice des Transports maritimes et fluviaux et des Ports à l’Agence nationale des Affaires maritimes, au Ministère de la pêche et de l’économie maritime.
Pouvez-vous nous parler votre enfance, vos études ?
Je suis née le 12 décembre 1967 à Dakar d’un père journaliste et d’une mère responsable de la ligne des caisses des magasins Score. Je suis la benjamine d’une famille de six enfants.
J’ai fait ses études maternelles aux Martyrs-de-l ’Ouganda avant d’aller à l’école Sainte-Bernadette. Le CEPE (Certificat d’études primaires élémentaires) et l’entrée en sixième, mes bonnes notes et la décoration de chevalier de l’ordre national du Lion de mon père me conduisent à dix ans à la Maison d’éducation de l’ordre national du Lion (actuelle Mariama-Ba) de Gorée. Là, sous la férule de Mme Delcamp, la formation est éclectique, le régime strict… On apprend aux jeunes filles à être des femmes cadres de premier ordre et de parfaites femmes d’intérieur. J’aimais toutes les matières, sauf les mathématiques.
J’entame l’écriture de Le Dard du secret en fin 1981. Le titre provisoire en était Innocents victimes/
Le 5 octobre 1982, année de son DFEM (Diplôme de fin d’études moyennes), j’ai perdu mon père, ma référence.
À l’école, il faut jongler pour écrire. Mes inspirations venaient la nuit après extinction des lumières. C’était compliqué. Pourtant, à l’âge de seize ans, je boucle l’écriture dudit manuscrit et enchaîne sur Les Maudits de Tamène et Chant nocturne (qui deviendront plus tard La Balade du Sabador), Herbe folle et Bayo, l’orpheline. Sur les conseils de ma mère, je porte ces écrits à Annette Mbaye d’Erneville, collègue et meilleure amie de mon père qui me recommande à Boubacar Boris Diop, qui me présente à Aminata Sow Fall.
Le roman Le Dard du secret remporte le Grand Prix ex aequo de la Commune de Dakar et est publié deux années après par les éditions Khoudia. Il remporte auprès du public un franc succès. Certaines âmes sont choquées par le caractère révolutionnaire de l’ouvrage qui parle de sujets tabous, comme l’amour et ses perversions (inceste, prostitution…). Je suis alors étudiante boursière en deuxième année de sciences juridiques à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD). J’obtiens mon DEUG en droit privé, puis ma licence et ma maîtrise en droit des affaires (section Transports-Assurances).
N’ayant pas les moyens de poursuivre à l’étranger les études de droit maritime dont j’ai toujours rêvé, je décide de parfaire mon anglais et de travailler. Je suis des cours au Centre culturel américain où je décroche un certificat de langue anglaise. Je fais ensuite mes premiers pas dans le monde du travail jusqu’en 1994, date de mon départ pour la France où je m’inscris en DESS de droit des activités maritimes au centre d’études maritimes de l’université de Bretagne occidentale. En 1996, j’obtiens le diplôme tant convoité et reviens au Sénégal.
Ne pouvant y trouver du travail, je dois retourner en France où, ironie du sort, ma qualité d’étrangère se présente comme le handicap majeur pour trouver un emploi dans un domaine aussi pointu. Je me tourne vers l’animation d’ateliers d’écriture et encadre des scolaires (écoles, MJC) et des personnes en difficulté (MJC, prisons) dans l’Essonne.
De retour à Dakar, je suis des cours d’espagnol à la chambre de commerce de Tenerife de Dakar. Divers séminaires et stages l’aident à parfaire sa formation.
Qu’a pensé votre famille de votre désir de devenir écrivain ?
De la fierté. Je suis enfant d’écrivain. Mon père, journaliste et écrivain, a été l’un des premiers auteurs de bandes dessinées issue de sa série radiophonique ayant fait les belles heures de l’ORTS (Maxureja Gey, chauffeur de taxi). Je suis née et j’ai grandi dans le milieu de la littérature et de la culture. Toute jeune, je ne voulais pas être écrivain. Cela impliquait tellement de sacrifices. J’avais envie, moi, d’avoir une vie en dehors de ça.
Comment avez-vous découvert votre désir d’écrire ?
Par un choc émotionnel d’une rare violence. Là, je me suis dit, je ne peux pas me taire même si je suis encore une enfant.…
Quel âge aviez-vous quand vous avez décidé de devenir écrivain ?
Le déclic s’est fait à l’âge de neuf ans. Dès que j’ai bouclé l’écriture de mon premier roman à seize ans, j’ai été prise par le virus de l’écriture, parce que pour moi, je le dis tout le temps, j’écris parce que j’ai des choses à dire. A partir de là, le déclic s’est fait. J’ai beaucoup de choses à dire.
Quelle a été l’inspiration de votre premier roman ?
J’ai été confrontée à une histoire d’enfant abandonné. Je me suis dit « tous ces enfants qu’on abandonne, qu’est-ce qu’ils vont devenir demain. S’en sortent-ils ? ; Qu’est-ce qui nous dit pas qu’un jour, devenus grands ils peuvent grandir et se marier avec leur frère, leur sœur, peut-être leur propre père sans le savoir ? ». Et en fait, c’est ce qui m’a amenée à écrire Le Dard du Secret, quatre ans après. Pour l’enfant que j’étais, c’était un choc, parce que je venais d’une famille où, en fait, on était très proches les uns des autres et je me disais que les enfants n’avaient pas le droit de subir certaines choses, parce qu’ils n’ont pas demandé à naître. Donc cette réflexion est venue. Et en fait c’est ce qui fait que dans Le Dard du Secret, je raconte l’histoire de ce frère et de cette sœur qui sont élevés séparément et qui un jour se marient en ignorant qu’ils sont apparentés.
De quoi ou de qui vous inspirez-vous?
Dans ce pays, on a toujours matière à écrire. Il y a beaucoup de problèmes sociaux, économiques, religieux qui se posent dans notre vie de tous les jours. Nous les écrivains, notre rôle c’est de mettre le doigt là où ça fait mal, de poser les problèmes, d’essayer de proposer des pistes de solutions. On n’est pas forcés d’être écoutés. Un jour on le sera, je pense. C’est ce qui a motivé toutes les choses que j’ai écrites.
Dans La Balade du Sabador, je pose tout le problème de notre hybridité religieuse. J’avais envie de mettre sur scène une histoire qui parlerait de djinn, une histoire d’amour impossible entre un djinn et un être humain, et ces histoires-là.
Waly Nguilane parle de l’histoire maritime et fluviale du Sénégal… Au Sénégal, on a trop tendance à penser que notre histoire ne débute que maintenant. On parle beaucoup de l’esclavage, de la décolonisation, très peu de l’histoire coloniale qui a duré quand même un siècle. En fait, celle-ci a été très spéciale, très riche. J’avais envie de revenir sur cette histoire-là. Tout le Sénégal d’aujourd’hui s’explique par elle.
Je m’intéresse beaucoup à la culture sérère. Dans la culture traditionnelle sérère, matrilinéaire, la femme est toute puissante. Surtout, celle qu’on appelle les femmes guélawars. Parce que, je donne un exemple, la femme guélawar avait le droit d’avoir des enfants en dehors de sa classe et ces enfants s’ennoblissaient par la noblesse de leur mère. Et dans la culture sérère traditionnelle, on appose à tous les noms le nom de la mère. Parce que la culture sérère dit que seule la mère peut jurer que telle personne est son enfant. Mais aucun homme ne peut le faire. Donc, moi je m’intéresse beaucoup à cette culture. Alors que quand on arrive à d’autres cultures, ce sont de cultures patrilinéaires et ces cultures-là mettent la femme au second plan. Mais, la femme que ces cultures mettent au second plan, c’est la femme épouse, pas la femme mère. Parce que la mère… l’homme considère sa mère comme une personne sacrée.
Dans Bayo, par exemple, qui est publié en dernier, c’est toute l’histoire politique, économique, sociale du Sénégal entre 1940 et 2006 avec tout ce qu’on vit aujourd’hui. J’ai donné Bayo à un éditeur en 2004, en faisant une extrapolation, une prospective par rapport au futur ; et je me rends compte que tout ce que je craignais, tout ce que j’anticipais se passe réellement à l’heure actuelle, parce que tous les germes ont été posés depuis longtemps, bien avant qu’on ne le pense.
Combien de temps avez-vous mis pour l’écrire ? En étiez-vous satisfaite ?
Cela s’est fait d’une traite. Six mois environ.
Comment ce roman a-t-il été accueilli dans le monde littéraire ?
Il a reçu le Grand prix de la commune de Dakar pour les lettres en 1988 suite à un concours littéraire international.
Depuis, vous en avez écrit plusieurs, comment vous sentez-vous à chaque publication ?
Soulagée et allégée d’un poids.
J’ai écrit beaucoup d’ouvrages, j’en ai publié vingt-trois pour le moment. Le vingt quatrième sortira dans quelques jours. J’espère que j’arriverai à publier tout le reste. Je m’intéresse beaucoup à des sujets comme l’inceste, la pédophilie, la politique, la prostitution, surtout enfantine ; au mysticisme et aux questions religieuses. Chaque fois que je traite d’un sujet, j’en suis libéré. Comme si j’avais rempli ma mission.
Quels sont vos futurs projets ?
Pluriels…
Pensez-vous que la passion d’écrire peut se transmettre ? Si oui, par quel biais ?
J’ai eu la révélation du don qui était en moi. Je ne connais que cette expérience.
Quels conseils pouvez-vous donner à des jeunes auteurs ?
Je suis un écrivain du terrain. Ce qui m’intéresse, c’est de pouvoir dire les choses telles qu’elles sont. Il ne s’agit pas seulement d’écrire une fiction. Il s’agit d’asseoir cette fiction dans une réalité très importante à mes yeux. Nous sommes dans une société sénégalaise en pleine mutation, par rapport à ses valeurs traditionnelles et sa perception de l’avenir. Il y a quelques années, on était un peuple très fataliste. Aujourd’hui, de plus en plus avec la nouvelle génération et la mondialisation, on a plus tendance à aller de l’avant, parce qu’on a quelque chose qui nous pousse vers l’avant. Je me dis que nous n’avons pas le droit de nous taire. Se taire, c’est une manière d’assassiner notre peuple…. Je refuse certains aspects du traditionalisme. Je ne prends de la tradition que ce qui utile. Ce qui est inutile, je laisse de côté. Je fais partie de ces femmes du futur…
Avez-vous quelque chose à rajouter ?
Concernant les femmes et l’écriture, beaucoup de femmes écrivent en dilettante. Les femmes qui écrivent ont le statut de femmes mariées, de femmes qui travaillent etc., donc on a très peu de temps. Ces femmes sont des femmes militantes dans l’écriture. Quand on est une femme, on beaucoup plus interpellée par ce qui se passe, parce qu’on mère, parce qu’on est épouse, parce qu’on est enfant, etc. Au Sénégal, selon le statut de la femme, qu’elle soit mère, qu’elle soit fille, qu’elle soit épouse, la façon dont on la traite dans la société est différente. La mère, est supérieure, omniprésente, elle a une puissance que l’épouse n’a pas. La fille et la femme doivent obéir. On est dans une société qui pose beaucoup de statuts pour un seul sexe. Nous, les femmes, sommes concernées. Au premier chef. La femme est la seule majorité obligée de se battre pour que ses droits soient reconnus et acceptés. Une véritables aberration.
L’écriture est d’abord un combat. Un combat de femme ou d’homme. Qui met en scène la femme d’abord. Même les hommes qui écrivent parlent beaucoup de la femme. Pour cette raison, parce qu’on est sujets et créatrices de verbe, on doit être interpelé par la littérature.
Quand on regarde le paysage littéraire sénégalais, il y a de plus en plus de femmes qui s’investissent dans la littérature. La littérature féminine, dans l’avenir, sera une littérature de femmes.
Je suis éditrice à mes heures perdues, j’ai été directrice littéraire des Nouvelles Editions Africaines et je me rends compte qu’il y a une germination de la littérature sénégalaise, qui n’est pas quelque chose d’oublié mais un engagement par rapport au monde d’aujourd’hui pour les contemporains, au monde d’hier pour les passéistes etc. mais c’est un engagement d’abord.
Quand je parle de littérature féminine, je parle de littérature par les femmes. Mais du point de vue du style, du style d’écriture, moi je trouve que l’écriture n’a pas de sexe. Souvent au Sénégal, il y a des femmes qui écrivent, quand on lit leurs textes, on a l’impression que ce sont des hommes qui écrivent. Souvent on trouve des ouvrages écrits par des hommes, on a l’impression que c’est une femme qui parle. Moi, je trouve que c’est une écriture androgyne, on est face à une écriture androgyne, qui n’a pas de sexe, mais une écriture engagée, quelque soit le front concerné par cet engagement-là.
Donc moi, je ne suis pas dans cette histoire d’écriture féminine ou pas… parce que la sensibilité… ce n’est pas forcément parce qu’on est un homme qu’on a une sensibilité masculine ou parce qu’on est une femme qu’on a une sensibilité féminine. Je ne suis pas dans ce type de concepts.
Quels conseils me donnerez-vous pour mon blog ?
Persister… Garder la foi.
Merci beaucoup d’avoir répondu à mes questions. Au plaisir de vous lire bientôt
A reblogué ceci sur Amélie Diack Auteur.
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Merci beaucoup Angelilie. Bienvenue. Je viens de faire un tour sur votre blog. Je suis une fan de photo. J’y flânerai souvent.
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J’aime beaucoup votre blog. Un plaisir de venir flâner sur vos pages. Une belle découverte. blog très intéressant. Je reviendrai m’y poser. N’hésitez pas à visiter mon univers. Au plaisir
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