« Mamadou Samb est un écrivain dont la plume marque la société sénégalaise voire africaine. Au travers de son entretien, nous découvrons un homme, riche culturellement, humble, Humain. Je vous laisse le découvrir » Amélie Diack
Bonjour Monsieur Samb. Je vous remercie d’avoir accepté cet interview. J’en suis honorée et mes abonnés aussi.
Tout le plaisir est pour moi. Je vous remercie pour l’honneur que vous me faites en m’offrant si généreusement l’occasion de m’adresser à mes lecteurs et à vos nombreux abonnés. Je vous remercie aussi pour l’intérêt que vous portez à mes productions littéraires en me révélant que vous connaissez déjà tous mes livres qui sont publiés.
A. D. oh oui, je vous suis depuis un bon moment et ma bibliothèque est riche de vos écrits
Pouvez-vous vous présenter auprès de vos lecteurs ?
A chaque fois que l’on me pose cette question, j’essaie d’avoir du recul pour ne pas donner une image qui me présente comme j’aimerais être ou comme je voudrais que mon interlocuteur me perçoive. L’objectivité et la subjectivité se confondent souvent dans une auto-présentation.
Ceci dit, maintenant je réponds sans hésiter que je suis écrivain… ce titre, montre une fonction que j’exerce et dont la matérialisation est l’existence de plusieurs livres qui portent ma signature. Ecrivain ? Oui, dirais-je après avoir longtemps eu des frayeurs pour accepter de porter ce titre qui en fait ne se décrète pas mais s’acquière à la suite d’une longue expérience qui doit se solder par la production d’un ou de plusieurs livres de fiction. Ecrivain ? Oui, mais me définir ou me présenter comme écrivain serait très réducteur de ma vie et de mes activités qui jalonnent et qui continuent de marquer chaque étape de mon existence. L’écriture est venue à moi au cours de ma carrière administrative d’abord en tant qu’enseignant et ensuite en tant qu’Inspecteur de l’Animation du Développement et Médiateur Pédagogique. Ce turban d’écrivain est resté sur ma tête en tant que Conseiller technique dans plusieurs ministères comme celui de l’Intérieur, de la Décentralisation, de la Petite Enfance, de la famille et de la Femme. L’écriture comme un labeur prégnant, je m’en accommodais avec plaisir et je l’ai réellement acceptée comme titre que lorsque j’ai obtenu certaines reconnaissances comme : Grand Prix des lycéens du Sénégal, Grand Prix Sembène Ousmane du Roman, Nominé au Grand Prix du Chef de l’Etat pour les lettres. Donc en dehors de mes activités professionnelles et annexes comme Expert en Femmes et Développement de l’UA, je suis devenu écrivain sans jamais m’imposer comme tel ou d’en faire un métier en plein temps.
Quels sont vos plus beaux souvenirs d’enfance, de vos études ?
De beaux souvenirs d’enfance, j’en ai eu plein, mais ma meilleure façon d’en parler serait de les regrouper dans des lieux comme :
– Ngabou, le village où je passais trois mois par an mes vacances scolaires, avec sa nature verte, ses champs, ses animaux domestiques, ses rivières et lacs.
– Le marché de Sandaga où je venais aider mon père dans son commerce et où je me gavais de lecture et de bandes dessinées chez les marchands de vieux journaux et de livres usagés.
– Grand-Dakar, le mythique quartier où j’ai grandi dans un cadre familial élargi avec seize frères et sœurs, des tantes, des voisins, des cousines et cousins et autres parents qui tous, ont contribué à forger ma personnalité et ont alimenté mes rêves de jeunesse.
– L’internat à l’École Normale William Ponty, où j’ai connu la diversité, la concurrence saine dans un environnement multiculturel, la vie artistique et sa pratique en toute liberté.
Comment avez-vous découvert votre désir d’écrire ?
Mon désir d’écriture s’est progressivement installé en moi à la suite de ma vie d’internat à la prestigieuse École Normale William Ponty où j’étais très actif dans le club culturel, le théâtre et la vie associative.
Ensuite ce désir s’est exacerbé lorsqu’à la fin de mes études, j’occupais mon premier poste en tant que Directeur d’école en Casamance. Plongé dans une nature vierge et florissante, dans une verdure envoûtante et au milieu des merveilleux habitants du village de Séléky, j’avais tout à ma disposition pour exprimer mes sentiments à travers l’écriture.
Ce désir s’est installé et a muri en moi lorsque, rentré à Dakar, j’ai été régulièrement confronté et agressé par des situations où la condition humaine était régulièrement étalée sous mes yeux dans leur dénuement le plus total, aiguisant ainsi ma sensibilité et ne me laissant aucune issue d’indifférence face à la misère et au désarroi qui étaient le lot quotidien des personnes que je côtoyais de près ou de loin. Je reste persuadé que l’écriture est une somme d’expériences, elle ne se décrète pas du jour au lendemain, mais s’acquière progressivement parce que, alimentée objectivement ou subjectivement par un vécu auquel on est concerné directement ou indirectement.
À quel moment aviez-vous décidé de devenir écrivain ?
Je n’ai jamais décidé à un moment précis que je voudrai être écrivain. J’ai toujours eu un recul par rapport à cette appellation, et si ce n’était pas les titres obtenus qui me confirment dans cette corporation, j’allais continuer à écrire sans jamais m’affubler du titre d’écrivain, pas parce que je surf sur une fausse modestie ou que j’ai peur de me faire une grosse tête, mais parce qu’être écrivain est une lourde responsabilité sociétale et est très chargé pour moi. Un livre, une fois écrit et publié, sort du contrôle de l’auteur et est soumis à l’appréciation positive ou négative des lecteurs qui sont seul juges.
Qu’a pensé votre famille de votre désir de devenir écrivain ?
Cela va peut-être étonner plus d’un quand je répondrai que je n’ai jamais eu de problème de conflits ou de télescopages affectifs ou matériels entre mes livres et ma famille. Ma famille est prioritaire et elle est toujours mise en avant dans mes activités. Toute action qui ne contribue pas à améliorer mes relations et l’harmonie avec ma famille est sans ambages mis aux oubliettes.
Je donne du temps à l’écriture mais je ne me laisse pas entrainer dans le sillage qui veut que certains écrivains soient des marginaux qui font semblant de ne pas comprendre leur société ou qui pensent que les autres ont du mal à les comprendre, ainsi vivant comme des extraterrestres qui portent lourdement sur leurs frêles épaules d’humain leur joug d’écrivain.
Ma famille adhère parfaitement à ma passion d’écriture car je fais tout pour que cette affection littéraire ne perturbe ni mes obligations quotidiennes ni mes relations humaines en général et familiales en particulier.
Quelle a été l’inspiration de votre premier roman ? De quoi ou de qui vous êtes-vous inspiré ?
Mon premier roman « De pulpe et d’Orange » édition Enda-tiers monde en 1990.
Est une autobiographie d’une fille-mère, étudiante et prostituée, transposée avec tact pour exprimer à la fois les difficultés d’un certain contexte social et chez Nabou (l’héroïne), la volonté de s’en sortir, pour elle-même et pour son fils.
Dans ce roman, j’ai cherché à travers une longue histoire d’une vie, faire émerger l’essentiel, tout en gardant au récit, sa vérité et sa saveur.
Pour résumer le livre je vais prendre un peu de recul et vous proposer la note (reçue aujourd’hui) d’une lectrice qui s’appelle Aïssata Sawadogo
Ma lecture de « De Pulpe et d’Orange » de Mamadou Samb.
« Ce livre n’est pas un roman à survoler sans chercher à saisir sa profondeur.
Il parle de ces filles à qui la société a tout pris et en exige ce qu’elles n’ont plus, les jugeant sans se demander quel impact elle a eu sur ces filles, ces femmes qui, obligées de vivre dans leur société, sont obligées de se vêtir d’un manteau et d’une personnalité qui ne sont pas les leurs.
L’histoire de cette jeune fille venant d’une famille pauvre qui devait se battre pour avoir un avenir grâce à l’école, qui a eu des hommes malintentionnés sur son parcours et qui a refusé de baisser les bras et compter sur les autres devrait nous interpeller TOUS!
Elle a peut-être choisi de se prostituer (contrainte quand même) comme d’autres auraient fait autre chose mais pas par choix de facilité. Et un choc lui fait fermer cette page!
Un livre à lire absolument!
On ne devrait pas s’arrêter au sous-titre du livre mais investir le personnage et vivre chacune de ses difficultés, craintes, douleurs sans la juger pour sentir le poids aliénant de nos sociétés ».
A. D. Une très belle lecture, en effet.
Combien de temps avez-vous mis pour l’écrire ? En étiez-vous satisfait ?
J’ai terminé le manuscrit en plus ou moins deux ans et je me souviens que je l’ai écrit dans plusieurs cahiers d’écolier et au crayon comme un élève qui faisait ses devoirs de classe.
Satisfaction ? Oui car ce roman est actuellement à sa troisième réimpression, il est retenu à la bibliothèque universitaire de Paris et est actuellement à plus de quatorze mille exemplaires.
A.D. Toute mes félicitations
Comment ce roman a-t-il été accueilli dans le monde littéraire ?
Bien accueilli oui, mais aussi beaucoup de surprises, de critiques et d’incompréhensions de la part de certains censeurs de la société, car le roman traite de sujets très sensibles et semblait ne pas sortir à son époque et dans son milieu (sociologiquement parlant).
Depuis, vous en avez écrit plusieurs, comment vous sentez-vous à chaque publication ?
J’ai dans ma bibliographie plusieurs œuvres, mais après chaque publication je suis sous pression, moins par le succès ou non de l’œuvre, mais plutôt par deux sentiments difficilement maîtrisables et qui hantent le sommeil de l’écrivain qui vient de tenir pour la première fois son nouveau livre fraîchement sorti de l’imprimerie :
– le premier sentiment c’est de livrer à l’appréciation des lecteurs et des critiques une production que j’ai murie pendant longtemps dans la solitude, dans l’angoisse et le doute.
Angoisse et doute permanents de n’avoir pas utilisé le mot juste, la phrase appropriée pour partager avec le lecteur mes sentiments, mes remarques, ma description des faits et gestes de mes personnages, les perceptions, les influences des milieux souvent hostiles dans lesquels ils baignent et l’atmosphère dans laquelle je les plonge sans ménagement.
Il est impossible pour un écrivain d’échapper à cette étape qui ressemble à la délivrance d’une parturiente qui vient de livrer à son entourage et au monde un nouveau-né qu’elle a gardé en son sein pendant neuf mois dans la douleur et l’anxiété de donner naissance à un bébé qu’elle ne sera pas la seule à apprécier.
– l’autre sentiment est lié à la production du prochain livre qui devra suivre et par quel bout l’aborder. Le sujet que je vais traiter est-il, et/ou sera-t-il assez intéressant pour mériter d’être écrit ? Est-ce que j’ai encore assez de ressources et de matières pour parler du sujet dont les différentes composantes se bousculent et s’entrechoquent pêlemêle dans ma tête ? Dois-je prendre le temps qu’il faut pour permettre au nouveau-né de prendre son envol ?
Autant de préoccupations qui envahissent l’écrivain et qui ne le quitteront plus jusqu’à la sortie d’un autre livre et le cercle reprendra.
A. D. Je vous comprends. Je traverse en ce moment le même enfer après la parution de mon premier roman et la préparation du prochain.
Quels sont les messages que vous véhiculez à travers vos écrits ?
Ma conviction profonde est que, comme le disait le distingué sage Amadou Hampâté Ba, « Tout est lié. Tout est vivant. Tout est interdépendant. »
Les messages que je véhicule à travers mes écrits, tournent essentiellement autour de la Condition Humaine : Il existe des liens tantôt visibles, tantôt invisibles et chaque être humain, pour donner un sens à sa vie, doit assumer sa responsabilité quant à ces liens qui forgent notre personnalité et qui font que nous existons. « Exister » dans le sens étymologique du mot : existerer ou exsisterer composé de ex et de sisterer qui est une forme dérivée de Stare (« être debout », « être stable »). Dès la naissance l’être humain cherche à être debout et fait tout pour garder une stabilité dans tous ses actes. Cette recherche de stabilité se poursuit au quotidien et se manifeste instinctivement dans nos comportements et nos relations ; d’abord avec nous-même, ensuite avec les autres et enfin avec notre environnement.
La « Stabilité » comme chez tout un chacun, est une recherche permanente de mes personnages dans leur processus évolutif. L’être n’est pas figé et le fait de se mouvoir dans un univers instable fait qu’il est tout le temps déstabilisé par les vicissitudes de son environnement proche ou éloigné. Par le biais des liens – tantôt visibles, tantôt invisibles – les personnages de mes livres se définissent et assument leur condition humaine en revendiquant leur part d’humanité.
A travers les pages de mes livres, aucun personnage n’est exclu, aucun cadre n’est neutre, aucune nature n’est négligée. Antagonistes et protagonistes se meuvent dans un univers qui se noue et se dénoue et où chacun joue son rôle qui influence et détermine la réaction de l’autre et dessine ainsi l’environnement qui selon le lecteur est jugé comme étant hostile ou favorable à l’épanouissement.
Quels sont vos futurs projets ?
Ecrire… Ecrire tant que j’aurais la possibilité et les moyens de le faire.
A. D. je vous le souhaite de tout cœur
Pensez-vous que la passion d’écrire peut se transmettre ? Si oui, par quel biais ?
La passion d’écriture n’est pas un « témoin » que l’on se transmet comme font les athlètes coureurs de relais. C’est un besoin très intime, une tension forte et inextinguible, gisant dans le tréfonds de l’être et qui comme un magma surgit un jour des entrailles d’un volcan.
Toutefois, elle peut être stimulée par la pratique régulière de la lecture qui permet une exploration psychosociologique de soi-même et des autres.
La lecture est un moyen sûr pour mettre en place les rampes d’envol de cette passion, car chaque livre qu’on parcoure, ouvre largement les portes à un voyage permanent dans l’environnement proche ou lointain des personnages et la découverte permanente et variée de mondes insoupçonnés. « C’est en forgeant qu’on devient forgeron » dit-on ? Je reste persuadé que la lecture assidue est le meilleur véhicule qui conduit inéluctablement vers l’écriture.
Quels conseils pouvez-vous donner à des jeunes auteurs ?
Ne jamais se presser.
Prendre le temps de murir ses idées.
Accepter la censure et le regard des professionnels sur ce que l’on produit.
Ne jamais penser que votre écriture, votre style ou vos idées sont parfaits et à l’abri des critiques.
Rester modeste. Oui… mais le monde de l’écriture est une jungle où il n’y a aucune place à la faiblesse. Comme un fauve, ne jamais lâcher sa proie. Doucement mais sûrement allez-y sans complexe et ne fléchissez jamais devant les obstacles qui de toute façon, inévitablement se dresseront sur votre chemin.
Quels conseils me donnerez-vous pour mon blog ?
Quand vous êtes sur la bonne voie, on ne peut que vous encourager et vous dire de persévérer car ce ne sera pas facile dans un paysage médiatique aussi multiple et diversifié.
Votre réussite dépendra essentiellement de votre professionnalisme et de la qualité de vos productions. Le monde littéraire n’est pas assez investi par des blogs engagés et spécialement orientés vers le livre, la lecture et les acteurs qui tournent autour de l’écriture, de sa diffusion et de sa promotion.
La littérature africaine est florissante, magnifique et très novatrice mais elle est mal exploitée, mal connue et est l’objet de sous-estimation par des intellectuelles (surtout africains) qui ne trouvent leur inspiration que dans les classiques scolaires et les citations désuètes et centenaires, d’écrivains exotiques et inaccessibles dont ils se gargarisent pour se donner bonne conscience lors de leurs exposés et conférences.
Votre Blog, s’il est accessible à nos jeunes professeurs devrait les aider à faire connaissance avec les auteurs actuels et les pousser à la lecture car il est regrettable de le dire : beaucoup d’entre eux demandent aux élèves de lire, mais eux ne connaissent de la littérature que les anciens livres au programme scolaire qu’ils ont lus par obligation (lorsqu’ils étaient eux-mêmes élèves), pour essentiellement préparer leurs devoirs et examens.
Malheureusement cette situation perdure et je suis souvent très consterné quand je demande à un professeur de lycée de me citer le dernier livre qu’il a lu, ou de me citer les auteurs de son pays et les livres qu’ils ont produits. Je suis d’autant plus meurtri quand des élèves me disent tristement qu’ils ne se retrouvent pas dans les anciens livres qu’on leur propose au programme et qu’ils trouvent leur lecture contraignante et très rébarbative.
Votre blog devrait aider à comprendre qu’il n’y a pas mieux pour voyager et apprendre sans contrainte dans le bonheur, qu’un bon livre que l’on lit avec plaisir et délectation.
A. D. Je fais de mon mieux. C’est un énorme travail. Cependant, j’adore ce que je fais. En ce qui concerne les professeurs, mon blog est ouvert à tous. Ils peuvent donner le lien à leurs étudiants et même venir y jeter un coup d’oeil. Je les y invite avec plaisir
Avez-vous quelque chose à rajouter ?
Pour aller vite, il faut aller doucement mais surement.
La réussite est au bout de l’effort, mais il faut que cet effort soit soutenu.
A. D. Merci beaucoup d’avoir répondu à mes questions. Au plaisir de vous lire bientôt
Merci beaucoup pour les vœux. C’est vrai, c’est un honneur d’être cité par cet immense écrivain. Bonne journée
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Me retrouver citée par cet immense auteur est tout un honneur et un défi! Merci Amélie pour cette belle interview et bonne suite pour le blog!
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Merci à vous. En effet un très grand homme. D’une grande humilité. N’oubliez pas d’inviter vos amis à venir lire cet entretien que j’ai aimé mener. Belle soirée
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Je reconnais mon caoch dans sa serenité son humble attitude …et pourtant une grosse marque
Gratitude pour cet bel interview encore une tres belle leçon
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Merci à vous. N’hésitez pas à vous promener sur le site. Vous découvrirez d’autres auteurs, d’autres romans et d’autres entretiens. Bienvenue
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Très intéressant, cet entretien ! Merci de m’avoir fait découvrir cet auteur 🙂
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