Kangni Alem est un auteur que l’on ne présente plus. C’est un écrivain dont la plume a été primée à de nombreuses reprises. Un auteur dont TiBrava est le monde imaginaire où évoluent ses personnages. TiBrava est pourtant un reflet très réel de la société africaine actuelle. Je remercie Kangni Alem pour sa disponibilité. Merci de nous faire entrer dans votre monde.
A.D Bonjour, Je m’appelle Amélie Diack. Je vous remercie d’avoir accepté cet interview. J’en suis honorée. Si je vous disais « qui êtes-vous », que répondrez vous?
Kangni Alem Un écrivain togolais cosmopolite ? Cela me définit mieux, je crois. Ou, à défaut, l’inventeur d’un territoire romanesque nommé TiBrava, un espace mosaïque dans lequel j’enclos mes secrets et mes rêves.
A.D Ce monde empiète-t-il sur vos écrits ?
K.A Peu ou prou, puisqu’il est issu d’une expérience sensible de mes pérégrinations à travers l’Afrique. TiBrava est d’abord africain, après c’est un univers problématique de mes relations avec mon pays natal, que je reconstruis par le biais de la fiction, pour mieux l’habiter.
A.D Où avez-vous fait vos études et quels sont les souvenirs que vous en gardez ?
K.A J’ai fait mes études jusqu’à la Licence de Lettres au Togo, puis j’ai poursuivi un temps, en France et aux États-Unis (Wisconsin), avant de finir une thèse de littérature comparée à Bordeaux, et de devenir enseignant. Des souvenirs de mes études, les épisodes les plus marquants demeurent ma scolarité à l’école primaire catholique de Bassadji, le quartier populaire de Lomé où je suis né. Cette école confessionnelle se trouvait entre la forêt sacrée des adeptes de la religion Vodou et la mosquée. J’avais plaisir à vivre dans ce mélange des divinités. C’était mon théâtre premier, le Théâtre des sortilèges. De façon générale, mes études m’ont ouvert au monde des Arts, et nourri ma personnalité d’intellectuel.
A.D. Pouvez-nous parler de vos souvenirs d’enfance ?
K.A J’en ai beaucoup. J’étais un enfant porté vers l’imaginaire le plus débridé. Que ce soit dans la pratique de la religion, dans l’amour du théâtre populaire, de la bande dessinée. Très tôt, j’avais le goût de la beauté des femmes, et je n’aimais pas le foot. Je garde en mémoire les humiliations subies lors des tournois scolaires de football où l’on m’alignait sans mon avis ; mais je garde aussi un souvenir très fort de la mort de mon oncle maternel : encore aujourd’hui, je suis le seul à croire que le jour même où il disparaissait, j’ai été le seul à apercevoir son ombre sur la route qui menait à la maison. Ce souvenir influença à jamais ma conception des univers réels et parallèles lorsque j’écris.
A.D Vous savez, une amie à ma mère a su qu’elle avait perdu sa mère quand cette dernière (qui était aux Antilles) a traversé devant sa voiture (à Dakar). Arrivée chez elle, elle avait le message de l’une de ses sœurs qui lui confirmait la nouvelle.
K.A Le monde parallèle est une donnée que la rationalité nous empêche d’accepter. Il faut avoir vécu dans sa chair cette expérience presque spirituelle pour en parler avec sincérité.
A.D. Comment avez-vous découvert votre désir d’écrire ?
K.A En lisant les manuels de Français de mon grand-frère, les fameux manuels Bordas illustrés des années 70. Je m’imaginais l’auteur de tous les textes que je lisais. Je les recopiais, et remplaçais les noms de Hugo, Lamartine, par des pseudonymes que je m’inventais. J’ai commencé à écrire mes propres textes en classe de 4e. Mais après mon Bac, j’ai pris confiance en moi, grâce au théâtre, et écris ma première pièce de théâtre à 23 ans, Chemins de croix, qui obtiendra le Prix du Concours théâtral Interafricain de RFI. Après cela, je n’ai plus jamais douté de mes dons, mais j’ai dû apprendre à les travailler, et nourrir ma sensibilité artistique par la musique, les arts plastiques, l’expérience des voyages.
A.D. À quel moment avez-vous décidé de devenir écrivain ?
K.A Après le succès de ma première pièce de théâtre. Je devais faire un choix : enseigner au lycée ou continuer l’expérience de la galère artistique. J’ai refusé mon contrat d’enseignement et poursuivi une vie de bohème au Togo. Le théâtre nourrissait mal, mais j’étais heureux et insouciant. Ce n’est que plus tard, arrivé en France, que je pris la décision de devenir prof d’université pour continuer à écrire à côté.
A.D. En avez-vous parlé à votre famille ? Qu’en a-t-elle pensé ?
K.A Non, c’était devenu une évidence pour tout le monde, après la consécration.
A.D Moi, j’avais toujours dis à mes parents que je serai écrivain, riche et que j’aurai plein de serviteurs (rires). Ah oui, je devais gagner le Pulitzer chaque année. Bon on va relativiser, maintenant que je suis dans le bain (rires).
K.A Il fallait naître en Amérique (rires) ! Je n’ai jamais pensé devenir riche mais célèbre. Personne autour de moi n’était milliardaire, mais j’aimais beaucoup les hommes de mon quartier dont le nom avait dépassé nos clôtures. Un de mes personnages, Lapisco, doit son nom à un vagabond de mon quartier Bassadji, un voyou dont la réputation de Don Juan avait dépassé au moins six quartiers environnants. J’admirais beaucoup cette célébrité-là.
A.D. Quelle a été votre source d’inspiration pour votre premier roman ?
K.A J’étais à Bordeaux, et j’ai rencontré une jeune métisse africaine qui m’a parlé de son père qu’elle ne connaissait pas, un père retourné en Afrique. Mon imagination a conçu le reste de l’histoire, et bouché les trous.
A.D. Combien de temps avez-vous mis pour l’écrire ?
K.A 3 ans, dans mes souvenirs. Deux années d’écriture et un an de corrections du texte, avec mon éditrice de l’époque.
A.D. Qu’avez-vous éprouvé après l’avoir écrit ?
K.A Quand on a fini d’écrire un premier roman, on est euphorique quand le livre sort, puis soudain on prend peur. On a l’impression que tout a été dit, et qu’on sera incapable d’écrire un autre livre. On peut même déprimer et croire à la panne d’inspiration post-publication. Mais cela se soigne, en retournant au travail : vivre et observer, simplement.
A.D C’est rassurant de vous entendre dire cela. On se sent « normal »
K.A C’est le monde de l’édition qui met la pression. Inutilement. Un livre s’écrit avec beaucoup de temps, de la patience et un zeste de documentation. Il faut intégrer la lenteur de la maturation au processus de création.
A.D Comment ce roman a-t-il été accueilli dans le monde littéraire ?
K.A Il a obtenu le Grand Prix Littéraire d’Afrique Noire, en France, et a connu une traduction en Allemand. Dans le monde universitaire, on y a consacré quelques thèses. Il est actuellement épuisé, l’éditeur ayant mis la clé sous le paillasson, mais j’espère la faire rééditer un de ces jours.
A.D. Comment vous sentez-vous à chaque publication ?
K.A Euphorique, puis vide de tout sentiment. Après chaque publication, la peur de ne plus avoir rien à dire réapparait. Mais c’est un sentiment qui n’existe qu’avec les livres de fiction. Quand je publie un essai, je n’ai aucun affect, je considère cela comme un exercice.
A.D. Pensez-vous que la passion d’écrire puisse se transmettre ? Si oui, par quel biais ?
K.A Oui, les ateliers d’écriture en groupe peuvent servir à cela, mais il faut un préalable chez l’auteur apprenti : avoir vraiment envie de se colleter avec la réécriture de ses textes, et pratiquer le texte comme un territoire où l’on se redécouvre à chaque fois.
A.D. Que représente l’écriture pour vous ?
K.A Une mise en scène de l’intime. Une manière de révéler, sans l’imposer, sa vision du monde.
A.D. L’écriture est-elle synonyme d’engagement?
K.A Il y a plusieurs manières de s’engager. Tout dépend du moment où on écrit et du poids de l’Histoire. Vous savez, comme disent les Arabes, Sartre, le théoricien de l’engagement, a défendu les Noirs colonisés et les Juifs, mais on n’a pas fini d’analyser son silence sur la cause palestinienne. L’engagement est une posture que l’on ne maîtrise pas toujours. Écrire, en soi, c’est déjà être engagé dans un paradoxe.
A.D. Vous êtes dramaturge, critique et traducteur. Est-ce facile à gérer quand, en plus, vous êtes écrivain ?
K.A Non. Il faut être un peu schizophrène. (Rires)
A.D J’admire cette faculté de changer de casquette à volonté. Je n’ai que trois blogs et je trouve cela très chronophage.
K.A Après, vous savez, on n’a qu’une seule vie, mais plusieurs journées. Il faut un peu de discipline pour passer d’une passion à l’autre, mais on peut aussi se dire que tout cela fonde sa propre personnalité. On est UN et DIVERS.
A.D. Est-ce la critique littéraire qui vous a mené à l’écriture ou le contraire ?
K.A Mes études universitaires m’ont amené à la critique littéraire, pas l’inverse.
A.D. Une telle carrière est-elle difficile à gérer ?
K.A L’université est compliquée. On se sent plus libre comme écrivain, mais l’écriture ne permet pas toujours de vivre. C’est un choix difficile, vivre de l’écriture. Nos pays n’ont pas encore atteint le niveau qui permette à aucun écrivain de vivre de sa plume. La plupart du temps, nos carrières d’écrivain se font à l’étranger, et nous
profitons juste de la célébrité de nos noms dans nos pays. Au Togo, je suis connu, mais pas forcément très lu.
A.D. Quels sont vos futurs projets ?
K.A Deux projets de romans en cours, dont un qui me tient à cœur, un roman national sur la figure du premier président du Togo, Sylvanus Olympio. L’autre roman, je navigue à vue, je ne sais pas encore où je vais (rires), peut-être du Nigeria vers l’Espagne.
A.D. Quels conseils pouvez-vous donner à des jeunes auteurs ?
K.A N’oubliez pas de vivre, mais de vivre vraiment loin des dogmes si vous voulez avoir une véritable reconnaissance comme auteur, c’est-à-dire Créateur.
A.D. Quels conseils me donnerez-vous pour améliorer mon blog dont le lien est https://litteratureetecrivainsdailleurs.blog/ ?
K.A Je ne suis plus un blogueur assidu. Donc, je vais venir prendre vos conseils plutôt pour relancer mon blog en panne. Vous connaissez mon blog ?
A.D Oui, je l’ai visité à de nombreuses reprises. Il est bien fait. Mais, vous n’y postez plus rien. C’est dommage car vous devez avoir beaucoup de choses à dire. Personnellement, je suis autodidacte sur ce sujet. J’ai trois blogs. J’essaie de varier les articles que je poste deux ou trois fois par semaines. Il faut que vous trouviez dans votre entourage quelqu’un qui pourrait le gérer pour vous.
K.A Merci du conseil, je vous promets dès aujourd’hui de poster au moins un billet par semaine. J’aime beaucoup ce média, mais vous croyez vraiment que quelqu’un d’autre pourrait le gérer à ma place ? Expliquez-moi.
A.D Il vous faut quelqu’un de confiance qui est passionné par ce média. Vous gardez un droit de regard, bien sûr. Dès que vous avez le temps, vous écrivez autant de billets que possible que cette personne se chargera de faire paraître sur votre blog. A votre rythme. Cette personne fera la mise en page et vous la soumettra avant la parution de l’article. Avec le temps, la confiance aidant, vous n’aurez plus qu’à lire vos articles sur votre blog.
A.D. Avez-vous quelque chose à rajouter ?
K.A A part vous dire merci, rien d’autre.
A.D. Merci à vous pour avoir répondu à mes questions.
Mes supers filicitetions,vraiment vous êtes un père littéraire Togolais vivant pour l’Afrique.
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Je vous remercie beaucoup. C’est avec plaisir que je navigue sur le vôtre.
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Bonjour. Je vais prévenir Kangni Alem de votre commentaire afin qu’il puisse réagir. Je suis d’accord avec votre réflexion. Lee Ham
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J’ai lu l’inetview avec beaucoup d’intérêt. Première leçon : l’écrivain partage les faits intimes de sa vie. Deuxième leçon : l’écrivain doit écrire avec patience. Je suis d’accord parce que j’ai appris à mes dépens que les oeurvres écrites ou publiées avec mâturité sont des oeuvres à succès.
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J’aime beaucoup votre blog. Un plaisir de venir flâner sur vos pages. Une belle découverte et blog très intéressant. Je reviendrai m’y poser. N’hésitez pas à visiter mon univers. Au plaisir.
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A reblogué ceci sur Les chroniques de Lee Ham.
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